Les solariums de Jean Saidman

LES SOLARIUMS DE JEAN SAIDMAM
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Cette présentation s’appuie sur le pertinent travail de recherche effectué par Mme Cécile RAYNAL et M. Thierry LEFEBVRE dans le cadre de leur ouvrage Les solariums du Dr Jean Saidman, Paris, Editions Glyphe, 2010.
De la station héliothérapique orientable (dite solarium tournant) d’Aix-les-Bains, ne demeurent que peu d’éléments : le soubassement voûté en ciment armé, quelques lentilles de soin, une poignée de photographies, un film relatant la construction et l’inauguration du bâtiment, une multitude de cartes postales, des souvenirs éparses chez les aixois et d’autres plus nombreux dans la famille du Dr Jean Saidman. Pourtant, le solarium tournant est bien plus qu’une histoire familiale ou locale. Elle s’inscrit à l’internationale et dans un temps scientifique relativement long.
Elle débute en 1921, lorsque Jean Saidman soutient sa thèse de doctorat en médecine. Son domaine de recherche s’oriente vers l’actinologie, autrement dit « les traitements médicaux à base d’ultraviolets, d’infrarouges, de rayons X ou d’ondes hertziennes… 1 ». Ce jeune roumain, né en 1897 à Falticeni, naturalisé français en 1919, décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre avec quatre citations, devient le plus jeune médecin de France. C’est en 1923 qu’il publie son premier article d’importance consacré aux ultraviolets. Cet article figurera dans son ouvrage de référence sur la question, publié en 1925, Les Rayons ultraviolets et associés en thérapeutique. Cette même année, il fonde  à Paris, l’Institut d’Actinologie. Tout comme le sera prochainement le solarium tournant d’Aix-les-Bains, l’institut est tout autant un lieu de soin qu’un outil d’expérimentation d’une science encore balbutiante, l’actinothérapie.
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> Le docteur Jean Saidman, directeur du laboratoire d’actinologie d’Aix-les-Bains, 1930-1936.
photographe : André Kertész

Donation André Kertész, Ministère de la culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP.

Quelques années plus tard, en 1929, l’Actinologie a reçu une reconnaissance internationale importante, en témoigne le premier Congrès international d’Actinologie qui s’est tenu dans l’été 1929. Une centaine de communications est présentée afin de démontrer les bienfaits de l’héliothérapie naturelle ou artificielle.
Pour mener à bien ses recherches, Jean Saidman a besoin d’un nouvel outil : le solarium tournant. Pour cela, il lui faut un terrain suffisamment grand pour accueillir le bâtiment et bien exposé et ce, toute au long de la journée. Il prospecte pour dénicher une ville où l’on soigne notamment les maladies osseuses et les rhumatismes. Aix-les-Bains fait figure de cité idoine de par ses activités thermales. Il est fort probable, d’après les informations de Cécile Raynal et Thierry Lefebvre, que les connaissances du docteur et, notamment, celle de l’ancien député de la Savoie (1906-1914), Théodore Reinach qu’il soigne à plusieurs reprises, ne soient pas étrangères à son choix. Il prend contact avec un architecte aixois, André Farde, pour la conception des plans et du bâtiment. Il travaille également avec des sociétés locales et nationales comme Saint-Gobain qui travaillera sur la conception des lentilles et des concentrateurs nécessaires aux soins.
Afin de financer le projet, le docteur fonde une société anonyme du nom de « solarium d’Aix-les-Bains ». Il va ainsi convaincre de nombreux investisseurs locaux parmi lesquels figurent des notables aixois dont plusieurs médecins et dentistes : Louis Blanc, Marcel Bouvier, Marc Chevallier, Louis Duvernay, Jacques Forestier, François Gaillard et Joseph Lelong.
Une fois le financement atteint et les autorisations obtenues, la construction débute. Nous sommes au mois d’avril 1930 et le terrain retenu se trouve sur la colline surplombant la ville dans l’espace dit de La Roche du Roi. Après avoir clôturé le terrain d’une balustrade en ciment et fermée d’un portail reprenant la forme d’un soleil, il fait fabriquer le soubassement voûté en ciment armé. Puis une structure métallique s’érige à 11,5 mètres du sol. Elle contient un ascenseur et un escalier. Pour consolider cette base, l’architecte a fait construire autour une caisse octogonale avec un toit incliné en tuiles losangées bichromatiques qui donne son esthétique unique au bâtiment. Au rez-de-chaussée sont installées la salle d’attente, le bureau du médecin et une salle de radiologie.

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> Le solarium d’Aix-les-Bains et la barrière en ciment clôturant son terrain, Photographe inconnu, coll. AC d’Aix-les-Bains.

Une partie intermédiaire consolide le bâtiment afin de soutenir la plateforme mobile qui accueille les salles de soins. Une fois terminé, le bâtiment mesure 16 mètres de haut et la plateforme mobile 25 mètres de long pour 6 mètres de large. Le tout pèse aux environs de 80 tonnes et se déplace d’est en ouest grâce à un système de galets montés sur rail. Si la rotation est motorisée, une manivelle permet de faire face aux imprévus et assure un fonctionnement quotidien du 15 avril au 15 octobre. La plateforme mobile est constituée d’un espace central permettant aux médecins de surveiller les activités thérapeutiques des patients en contrôlant les lampes artificielles (lampes à arcs polymétalliques et lampes à infrarouges) et de dix salles réparties des deux côtés. Chaque salle est équipée d’un lit inclinable permettant de placer le patient à la verticale des rayons du soleil pour une concentration optimale des rayons. Cette densité est démultipliée par des lentilles de 1,6 m2 placée au-dessus de chaque lit. Selon la présentation du Dr Saidman, « leur surface totale permet de capter, en outre, de considérables quantités de rayons ultraviolets invisibles, une puissance lumineuse équivalant à plus de 5 millions de bougies, et une très appréciable énergie calorifique » mais surtout « ce n’était pas tout de décupler le rayonnement et de le sélectionner suivant les affections attaquée : il fallait surtout doser l’action […] 2 ». En effet, l’une des découvertes majeures de Saidman tient dans sa capacité à définir le type de rayons solaires nécessaires au patient mais aussi à contrôler son intensité et le temps de rayonnement. Pour cela, il invente un autre outil, le test sensitométrique qu’il reconnait comme empirique puisqu’il consiste en une série d’irradiations permettant de définir l’insolation la plus propice à un soin individualisé.

Les jours où le temps est maussade, les lampes artificielles prennent le relais, assurant ainsi une activité continue mais qui, très vite, trouve une limite dans son emplacement périphérique. En 1932, du fait de la construction d’une nouvelle aile des thermes nationaux, Jean Saidman propose de déplacer la partie mobile de son solarium sur le toit de celle-ci, en centre ville. Malgré l’intérêt réciproque des deux parties, ce déplacement n’aura jamais lieu pour des raisons administratives.
En 1934, la reconnaissance nationale et internationale de l’actinothérapie et du solarium tournant se confirme avec la construction de deux nouveaux bâtiments. Ils s’érigent quasi conjointement à Jamnagar (Inde, Gujara) et Vallauris (France, Alpes-Maritimes).
Le premier est construit suite à l’invitation du maharadja Jam Ranjitsinhjii pour le « 25e anniversaire de son règne 3 ». Toujours sur pied, il ne fonctionne plus depuis 1996. Si la plateforme mobile reste similaire, la base est, elle, beaucoup plus fonctionnaliste. Les soins sont similaires et profitent d’une exposition très importante mais régie par le climat et notamment, par les périodes de mousson.

StudioJan.52,A28a(ii)Solarium – Ranjit Institute of Poly-Radio Therapy, Jamnagar.
> Le solarium de Jamnagar, Studio/Jan.52,A28a(ii)Solarium – Ranjit Institute of Poly-Radio Therapy, Jamnagar.

Le second, édifié à Vallauris-Le-Cannet, doit s’inscrire dans un complexe d’envergure, le sanatorium héliomarin. Le Dr Jean Saidman en prend la direction dès son inauguration en février 1935. Pourtant, en 1937, il est forcé de quitté le sud de la France et d’abandonner son solarium qui sera détruit en 1942. Plusieurs raisons expliquent cet échec. Tout d’abord, la gestion du complexe se révèle chronophage. Il lui faut gérer les activités thérapeutiques du solarium, ses recherches mais aussi les quelques 300 lits qui accueillent les patients. De plus, les conflits sociaux de 1936 changent la donne au niveau national mais aussi local. Le soutien qu’il avait reçu de la part des instances politiques locales en 1934, n’est plus aussi appuyé. Les ennuis s’accumulent et le pousse à fermer les portes de ce qui devait être la préfiguration d’un projet d’envergure : actinopolis. La cité de l’actinothérapie restera un élément de plus des mouvements architecturaux utopiques des années 1930. D’autres pays sont intéressés par ses recherche, comme le Vénézuela, mais ne donnent finalement pas suite à leur souhait initial.
Les années 1940 sont marquées par la seconde guerre mondiale. Le Dr Jean Saidman qui est revenu à Paris se voit obliger de fuir la capitale pour la Savoie. Ses origines roumaines et sa confession juive font de lui une cible potentielle des nazis mais sa renommée et ses compétences le protègent notamment grâce à la « Société Médicale d’Aix ». Durant la période d’occupation, le solarium est réquisitionné par les troupes allemandes et devient un hôpital de fortune à partir de 1943. A la fin du conflit, le docteur reprend le chemin vers Paris où il continue ses activités de recherche. Les solariums encore sur pied perdent peu à peu de leur intérêt et ce, pour plusieurs raisons. Comme l’expliquent Raynal et Lefebvre « les temps ont changé, les antibiotiques supplantent désormais l’héliothérapie dans le traitement de la tuberculose […] ; la découverte et la fabrication de la vitamine D rendent également obsolète le traitement du rachitisme par la lumière 4 ».
Jean Saidman décède à Aix-les-Bains le 6 juillet 1949, emporté par un infarctus. La légende veut qu’il soit mort sur son bureau, une nuit comme une autre, au beau milieu de la rédaction d’un article scientifique, en pleine recherche. Le solarium tournant d’Aix-les-Bains existe toujours et c’est sa femme qui tente de conserver l’activité. Cependant, sans l’ardeur de Jean Saidman, le déclin est inexorable. Quelques mois plus tard, au cours de l’année 1950, le solarium est définitivement fermé. Un incendie et de nombreux pillages suivent et le terrain est finalement vendu par les filles du Dr Jean Saidman le 15 septembre 1965 à la société civile « Le Solarium ». Dans l’acte de vente, il est mentionné l’obligation de démonter les vestiges du bâtiment. L’architecture a disparue.

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> Vue depuis l’aile du solarium d’Aix-les-Bains, Photographe inconnu, coll. AC d’Aix-les-Bains.
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1 – LEFEBVRE Thierry et RAYNAL Cécile, « Le solarium tournant du Dr Saidman – Un complément à la cure thermale d’Aix-les-Bains », Arts & Mémoires, n°55, novembre 2009, p.36.
2 – SAIDMAN Jean, « La science vient de consacrer la régénération par la lumière », Je sais tout – La Grande Revue de Vulgarisation Scientifique, n°285, septembre 1929, p. 339.
3 – SAIDMAN Jean, « Une mission actinologique aux Indes », in annales de l’Institut d’Actinologie, Tome IX, n°3, Janvier 1935, p. 1.
4 – LEFEBVRE Thierry et RAYNAL Cécile, « Le solarium tournant… », Op.cit., p.44.
Visuel d’en-tête : Illustration titrée « Un sanatorium solaire orientable » présentant le projet du Dr Jean Saidman, parue dans Je sais tout – La Grande Revue de Vulgarisation Scientifique, n°285, septembre 1929. Auteur inconnu.
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Pour compléter ce regard, nous vous conseillons la lecture de plusieurs articles :
  • BELLE Elsa et GRAS Philippe, « Etablissement médical, dit station héliothérapique orientable ou Solarium tournant », Inventaire général du patrimoine culturel Rhône-Alpes.
  • BELLE Elsa, « Aix-les-Bains, carrefour de villégiatures : thermalisme, climatisme, sports d’hiver et bords de lac », In situ Revue des patrimoines, 2014.
  • LEFEBVRE Thierry et RAYNAL Cécile, « Le solarium tournant d’Aix-les-Bains », La revue du praticien, 2006.